Page:Tinayre - La Rancon.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gageure, ces baisers un peu bêtes et insolents — tant pis pour vous, Lachaume ! — Ah ! je ne voudrais pas embrasser ainsi la femme la plus chérie, dussé-je renoncer à connaître jamais la douceur de sa joue.

Il regarda Jacqueline, involontairement. Elle sembla l’approuver du regard.

— Voici le café, dit Vallier. Tu es convaincu de sacrilège contre le sacro-saint Sentiment, avec un S majuscule. Résigne-toi, mon vieux Lachaume, Chartrain nous met dans le même panier.

Dès lors, la causerie se fragmenta. Les chaises s’écartèrent et se groupèrent. Le ciel, vert à l’occident, se nuançait à l’est d’un mauve délicieux où brillait, seule, une claire étoile. Le feuillage des trembles était plus pâle dans le demi-jour, et une odeur de terre, d’herbe et de fleurs, flottait, fraîche et mouillée. Les insectes du soir commençaient à voler autour de la table et les femmes tressaillaient en sentant, sur leurs cheveux, l’obscur velours d’ailes incertaines. Avec la nuit, avec les papillons et les phalènes, avec les astres et les parfums, une langueur était venue, comme un crépuscule très doux, épandu dans les âmes.

Les trois jeunes femmes s’étaient rapprochées.