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et des Courdimanche, vers les arbres blancs, les prés en fleur, les chemins bordés de violettes, et l’immense horizon bleuâtre… Il se rappela, mot pour mot, toutes les paroles de Mme Manolé. Comme elle avait bien su parler des bois, du ciel ! Comme elle avait compris le charme de la vieille maison !

M. Le Tourneur disait les Grâces. Augustin, tiré de son rêve, conduisit « Fillette » au salon.

« Mon cher abbé, disait tout bas Mme Loiselier à M. Chavançon, vous ne m’aviez pas raconté que M. de Chanteprie se destinait à la vie érémitique !

— Bah ! quand il sera marié, il sortira de son ermitage.

— S’il se marie jamais !… M. Loiselier ne voudra point donner « Fillette » à ce sauvage. Voyez-vous ce jeune rustre qui croit nous honorer de son alliance !…

— M. Loiselier voudra ce que vous voudrez. Mais, chère amie, il n’a donc pas fait sa cour à « Fillette » et à vous, ce jeune rustre ?

— Il m’a parlé grande culture, drainage, assolements et phosphates. »

Mlle Cariste servait le café. L’abbé Chavançon se mit à conter les potins du presbytère, où il avait son appartement. Puis il demanda la permission d’allumer une cigarette.

« Comment, Victor, vous fumez ! s’écria le capitaine.

— Cousin, répliqua l’abbé, ne soyez pas scandalisé : la cigarette est licite dans l’intérieur des maisons. Est-ce que la tabatière vous paraît plus canonique, la traditionnelle tabatière, attribut du curé de village, et compagne inséparable du mouchoir à carreaux ? »

Cette réplique fit rire tout le monde, et Chavançon reprit :

« Je parierais cent sous que notre ami Vitalis a une pipe dans la poche de sa soutane, une grosse pipe en terre, patiemment culottée pendant les loisirs que les gens de Rouvrenoir font à leur pasteur.

— Ne pariez pas, vous gagneriez ! répondit Vitalis en exhibant un court « brûle-gueule » qu’il fit disparaître aussitôt. Cette pipe, une vieille amie, n’offense pas la vue de mes ouailles, bien au contraire ! Tant que j’ai fait du zèle, – je vous parle de mes lointains débuts à Rouvrenoir, – j’aurais rougi de vivre comme tout le monde, et j’affectais, naïvement, des allures de réformateur. Je tenais les gens à distance pour ne pas compromettre mon prestige, et les gens, me croyant fier, se divertissaient à mes dépens. Aujourd’hui, j’ai perdu cette ardeur de jeunesse, et mes