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placé entre Mme et Mlle Loiselier, jetait de timides coups d’œil sur ses voisines.

La dame lui déplut. Elle avait un faux air d’ogresse. C’était un bel animal humain, bien nourri, harnaché d’étoffes chatoyantes, de pierres et de métaux ; et près d’elle sa fille semblait une ébauche de femme, que la mère égoïste avait créée avec un minimum de chair et de sang, et pas finie.

« On m’a dit que vous vous intéressiez à la culture ? »

M. de Chanteprie devina qu’il allait subir une espèce d’examen.

« Je m’en occupe par nécessité et par goût. Notre petite fortune est presque toute en terres que nous louons à des métayers. Je suis obligé de diriger un peu ces braves gens. Ça ne leur plaît pas toujours… et Testard ne se gêne pas pour me renvoyer à mes livres.

— Vous vivez toute l’année à Hautfort-le-Vieux ?

— Toute l’année.

— Vous ne voyagez jamais ?

— Jamais.

— Oh ! vous devez vous ennuyer mortellement, car, à votre âge, on a… des aspirations… »

Mme Loiselier attendait une réponse mi-sentimentale, mi-galante, une allusion aux tristesses de la solitude, aux félicités espérées de l’amour.

« Voilà précisément ce qu’une dame me disait aujourd’hui… Et, quand je lui ai répondu que j’étais parfaitement heureux dans mon trou, elle m’a regardé d’un air de compassion.

— La dame du Chêne-Pourpre ? Celui qui doit acheter les Trois-Tilleuls ? »

Augustin s’écria vivement :

« Vous la connaissez ?… Une jeune femme très brune, mince, pâle, avec de grands yeux… N’est-elle pas Italienne ?

— Je ne la connais pas du tout. Ces messieurs ont parlé d’elle.

— Ils la connaissent donc ?

— Pas que je sache ! dit Mme Loiselier avec humeur. Mais, dans ces petites villes, un jeune homme ne peut pas parler à une femme sans que tous ses concitoyens en soient avertis.

— Je ne fréquente guère mes concitoyens, madame.

— Vous êtes un sauvage.

— À peu près… Je reste quelquefois huit jours sans lire un journal.

— Ne vous en vantez pas, mon ami ! cria l’abbé Le Tourneur,