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« Eh ! monsieur, vous aussi vous faites du sentiment… Veuillez remarquer pourtant, monsieur, qu’il n’y pas de fourneau dans la cuisine !…

— Il serait facile d’en mettre un, madame.

— À mes frais ! dit Mme Lassauguette. C’est à voir, monsieur ; mais, dès à présent, je vous demande un rabais sur le prix de la propriété.

— Je parlerai à ma mère, et si elle consent… peut-être…

— Il n’y a pas de peut-être. Je verrai votre mère aujourd’hui ; nous irons demain chez le notaire, et, dans quatre jours, je prendrai le paquebot du Havre. Réfléchissez, monsieur… Où est le chemin du verger ?… Dépêchons ! »

Ils prirent un sentier à travers le petit bois et gagnèrent un verger, clos de haies. Pendant que Mme Lassauguette comptait les arbres à fruits, évaluait le rendement des coupes et la quantité de légumes qu’on pouvait espérer, bon an, mal an, Fanny relevait son voile pour mieux contempler, dans l’ensemble et dans les détails, le magnifique paysage.

« Que c’est beau ! disait-elle. Quelle surprise ! Quelle merveille… »

À travers les troncs fourchus et les branches fleuries des pommiers, on apercevait une vaste pente de prairies qui descendait majestueusement. Les versants boisés des collines, avançant à droite et à gauche, s’abaissaient d’un même mouvement harmonieux, comme pour se réunir. Des arbres isolés se dressaient çà et là. Des toits émergeaient. On devinait l’église de Rouvrenoir dans la masse moutonnante des frondaisons que le premier printemps teintait des pourpres de l’automne. Et plus loin, baignée dans la suave transparence de l’air, c’était la plaine, étendue pendant des lieues et des lieues jusqu’à l’extrême horizon ; la plaine avec ses traînées de bois, ses grandes places blondes où flotte l’ombre des nuages, ses labours rougeâtres, ses villages égrenés, ses clochers pointants, ses peupliers rangés au bord des routes ; la plaine infinie sous le ciel infini, l’espace qui fascine le regard, l’azur vertigineux où court le vent libre et dont s’enivrent les oiseaux.

Fanny, muette de plaisir, retenait d’une main les plis de son voile au bord de sa toque. Elle ne voyait pas, ou semblait ne pas voir que M. de Chanteprie l’observait… Belle et jolie, très brune, les cheveux massés sur les tempes en boucles compactes et luisantes