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priait ardemment, si ardemment que sa douleur se consumait dans l’ardeur de sa prière. Elle songeait, avec une sainte dilection, à l’heure, maintenant peu lointaine, où elle irait rejoindre son fils bien-aimé… Déjà, voyant sur son front la couronne de gloire, elle le contemplait avec respect et elle remerciait Dieu qui lui avait permis d’enfanter à la vie éternelle celui qu’elle avait enfanté à la vie mortelle. Elle ne doutait pas un instant d’avoir fait, sans défaillance, son devoir de mère et de chrétienne… Elle pensait à l’enfance de son fieu, aux jolis cheveux blonds qu’il avait, à ses manières si douces, aux caresses qu’elle recevait de lui, et le pauvre cœur octogénaire éclatait tout bas, sans ostentation du désespoir… Augustin !… Elle l’avait tant aimé ! Il avait été pour elle ce que l’époux et l’amant sont aux autres femmes : son orgueil, son délice, son tourment, son amour… Oui, le seul amour de sa longue vie, ou plutôt sa vie même. On pourrait bien enterrer la Chavoche avec son fieu, roulés dans la même toile : elle se sentait mourir de sa mort…

La fournaise du jour avait embrasé la nuit. Au loin, des éclairs silencieux ouvraient, dans le ciel sans étoiles, des perspectives phosphorescentes. Les noctuelles entraient en bourdonnant et Jacquine, qui croyait aux présages, regardait avec terreur voleter autour de lampe ces grands sphinx qui portent la figure de la Mort sur leurs ailes de velours gris… Tout à coup, au loin, des voix joyeuses s’élevèrent… Dans la plaine, des feux s’allumaient.

« On danse, là-bas, pensa Jacquine. C’est la nuit de la Saint-Jean… il y a des garçons et des filles qui sautent autour des feux, et qui s’embrasseront après, dans les venelles. Ils n’ont pas envie de devenir des saints, ni des saintes… L’amour les contente, ceux-là…

Augustin remua. Les deux femmes s’élancèrent.

« Quoi !… Que veux-tu ?…

— Je suis mal… Ne me quittez plus !… Maman !… Jacquine !…

— Il passe ! cria la Chavoche. La lampe !… Tenez la lampe !… Donnez-moi le vinaigre… Ah ! mon fieu, mon fieu chéri ! »

Les Courdimanche, de l’escalier, entendirent le cri de Jacquine. Ils accoururent, et leurs voix s’unirent à la lamentation de la servante. Un instant, la chambre fut pleine de clameurs ; mais le malade rouvrit les yeux et regarda l’un après l’autre ces gens éperdus qui pleuraient.