Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/240

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Eh bien, qu’elle entre ! »

Elle entra, et son corsage de mousseline, son sourire, son regard, ses cheveux fauves éclairèrent la chambre, dès le seuil. Timide, le sang aux joues, le bras arrondi sur le panier qu’elle portait contre sa hanche, elle regardait M. de Chanteprie d’un air de compassion.

Et lui, détourné enfin de l’obsédant paysage, redressé sur l’oreiller, semblait s’éveiller tout à coup… Il la reconnaissait, l’éblouissante fille ! Il n’avait pas oublié l’idylle du verger, le reflet vert des arbres sur la gorge blanche, la nuque rousse inclinée, le geste des doigts égrenant les groseilles mûres… Georgette, la première tentation, la première vision de l’Ève éternelle !… Ces cheveux, ce sein, ce visage de rose ardente, Augustin les avait revus, parfois, en d’involontaires rêveries. Et Georgette non plus n’avait pas oublié l’adolescent aux yeux froids, aux brèves paroles, qui l’avait recueillie sur la route, un soir de juin. Quel sentiment, peut-être ignoré d’elle-même, la ramenait près du mourant, elle, l’éclatante Jeunesse aux cheveux pleins de lumière, aux mains pleines de fruits ?

« Approchez… Posez votre panier, là, sur la table… Ce sont des cerises de votre jardin ?

— Et des fraises des bois… Je les ai trouvées du côté de Rouvrenoir. Elles sont toutes fraîches… C’est un parfum… Ça embaume.

— Du côté de Rouvrenoir ?… Oui, c’est la saison des fraises… Et la dernière pluie a fait pousser, dans la forêt, les girolles qui fleurent l’abricot… La forêt !… Comme on est bien, dans la forêt !… J’aimais la grande avenue de hêtres qui s’enfonce dans un vallon… Allez de ce côté, Mlle Georgette, il y a des fraisiers plus qu’à Rouvrenoir…

— J’irai, monsieur, j’irai sans faute, et je vous apporterai des fraises, encore, des fraises qui auront mûri sous ces hêtres que vous aimez. »

Il rêva quelques minutes, comme grisé par l’odeur des fruits. Jacquine lui prit le poignet.

« Mon fieu, ne vous émouvez pas à parler. Georgette reviendra, puisque vous le voulez bien. Allons, va-t’en, ma petite… tu fatigues M. de Chanteprie.

— Laisse-moi remercier cette jeune fille… Vous êtes toujours en place, mademoiselle Georgette ?