Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/219

Cette page n’a pas encore été corrigée

prévus, pour produire au moment marqué la crise définitive, la tempête de l’esprit et du cœur où la grâce éclate en foudre.

Augustin s’humilia sans ferveur, pria sans joie, mais il continua de s’humilier et de prier, et peu à peu, l’aiguillon des sens s’émoussa, le cœur séché s’amollit, les larmes bienfaisantes jaillirent.

La longue retraite achevée, M. Forgerus parti pour Beyrouth, M. de Chanteprie était sorti du cloître, comme d’un hôpital, et il était revenu à Hautfort, l’âme toute vacillante encore, tout étourdie du jour et du bruit. L’office, la prière, les lectures pieuses, les travaux manuels, ne laissaient point de place à la rêverie dans une vie qu’Augustin voulait stricte et dure, réglée minutieusement. Et la douleur même, assourdie, avec de lancinants retours, devenait une ancienne et chère habitude dont il ne souhaitait pas guérir trop tôt. Il portait le souvenir de sa maîtresse comme un cilice sur son cœur.

Et voilà que sa visite chez Jacquine troublait cette sorte de quiétude passive, ce demi-sommeil d’âme où M. de Chanteprie croyait reconnaître la paix de Dieu. Le nom seul de Fanny, le contact des papiers qu’elle avait touchés, c’était assez pour rallumer toutes les fièvres des sens et de l’imagination. Enfermé dans la nouvelle chambre qu’il occupait, Augustin se demanda avec angoisse s’il aurait le cruel courage de renvoyer ces lettres à Fanny, sans les lire, ou de les brûler ?

« Si je les garde, je les lirai, tôt ou tard, dans une minute de faiblesse… et si je les lis, je suis perdu… »

Un instant, il soupesa la paquet dans sa main ouverte… Quinze ou vingt lettres, sans doute, des morceaux de la vie de Fanny, – de cette vie inconnue qu’il avait tant désiré connaître… Il pouvait, en les lisant, assouvir sa curiosité passionnée, endormir peut-être son inquiétude… Quel poids léger !… Et, dans ces petites feuilles, il y avait tout un monde d’amour et de souffrance, une âme enclose qu’on sentait frémir… Chère Fanny !… Augustin la voyait, entrant chez Jacquine, demandant : « Est-il revenu ? » Elle ne s’était pas consolée ; elle n’oubliait pas, la bien-aimée !

Le jeune homme rêva longtemps ; puis, entre les chenets, dans le foyer vide, il plaça le paquet de lettres, parmi les brindilles de bois… Mais le cœur lui manqua. Il demeurait indécis, un genou en terre, une allumette à la main…

« Je ne peux pas… Il me semble que c’est un peu d’elle que je vais anéantir… »