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le divan. Seule, parmi ce peuple inanimé, Fanny souffre, comme elle va souffrir, seule, parmi le peuple indifférent des hommes.

Elle n’éprouve aucun sentiment de haine et de colère ; elle ne s’excite pas à maudire Élie Forgerus et Mme de Chanteprie ; elle oublie que Barral a prédit ces choses et qu’il attend.

Comme des nuages au vent, ses pensées roulent… C’est un chaos de souvenirs… Deux ans de sa vie, le merveilleux amour dans les décors enchantés du Chêne-Pourpre… Le vallon de Port-Royal… les soirs d’été… la lune claire entre les tilleuls… la route blanche… la Maison du Pavot !… Ah ! le reflet du feu sur le lit, le sourire du chevalier Adhémar, l’âme ombrageuse enfin domptée, le jeune amant qui tremble aux bras de la femme, et frémit avec elle, et défaille dans l’amour !… Ces cheveux, ces lèvres, ces yeux qui brûlaient Fanny, ces yeux dont le regard palpite encore, flèche ardente, au vif de son cœur blessé… Tout, les lettres qu’on lit en pleurant, les départs et les retours, les causeries, les caresses, l’anxieuse attente, les jalousies, les joies, les chagrins, l’intimité mystérieuse, – tout cela, c’est le Passé !

Qu’importent les mois et les ans !… L’amant perdu est aussi loin de Fanny que les morts dont elle ne porte plus le deuil ! Elle sentira le visage adoré pâlir et s’effacer dans sa mémoire… Elle oubliera le goût des lèvres d’Augustin, le bruit de son pas, ses gestes coutumiers, son rire, son étreinte et jusqu’au timbre de cette voix qui disait : « Fanny ! »

Elle l’appelle vainement. Elle tend vers lui ses mains convulsives… Elle crie : « Non !… ce n’est pas vrai !… ce n’est pas possible !… je ne veux pas !… » La douleur monte des profondeurs de son être, coule avec ses larmes, avec sa vie… Écrasée, maintenant, elle ne bouge plus… Ses yeux vacillent, noyés de ténèbres, et le désir de la mort emplit son cœur.