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Il n’eut pas le temps de répondre : Jacquine apportait le dîner.

« Ah ! vous en avez, une mine ! dit-elle à Augustin. Et madame Fanny… regardez-la donc !… Il ne pouvait pas crever plus tôt, ce vieil ivrogne ?

— Tais-toi, Jacquine !… J’ai passé l’âge où tu pouvais me donner des leçons.

— C’est entendu, vous êtes le maître… Tenez, je vous ai préparé du vin chaud. Buvez ça tout de suite… Si vous tombiez malade, ce serait encore la vieille Jacquine qui serait forcée de vous soigner. »

Le repas fut court. Jacquine se hâta de desservir.

« Bien le bonsoir, madame et monsieur, dit-elle en s’en allant. Je vais me coucher. Il est dix heures tout de suite. »

Fanny se leva.

« Restez un moment, fit Augustin. Nous avons encore une demi-heure.

— Soit, je reste. Je ne veux pas écourter ma dernière visite.

— Votre dernière visite ?…

— Avant mon départ, oui… J’ai vendu tous les bibelots de mon exposition, et je me décide à voyager pendant quelques semaines… ou quelques mois… en Hollande. Ce soir, j’étais venue vous dire adieu. »

Elle épiait l’effet de ses paroles. Augustin se récria :

« Vous m’annoncez cette nouvelle au moment de partir ! Quelle traîtrise !

— Si vous aviez su ne pas me revoir avant quelques semaines… ou quelques mois… vous ne m’auriez pas invitée à prendre le dernier train ?

— C’est décidé ?… Vous partez bientôt ?

— Bientôt… Quelle délivrance pour vous, Augustin ! Plus de lettres, plus de voyages à Paris, plus de… surprises comme ce soir ! Vous allez retrouver la paix de l’âme. Réjouissez-vous !

— Pourquoi me parlez-vous ainsi ?… Vous me quittez : j’en éprouve une vraie tristesse, quoique… pourtant…

— Osez dire votre pensée… Soyez brave une fois !

— Mon amie, nous traversons l’un et l’autre une crise pénible… Nos âmes se heurtent sans cesse… Je souffre, et je vous fais souffrir. Peut-être vaut-il mieux, pour notre bonheur, que nous soyons séparés quelque temps. Nous réfléchirons. Nous verrons clair en nous-mêmes.