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développé en vous cet instinct de servitude. Votre nature répugne invinciblement à cette espèce de suicide, et la volonté de la vie personnelle demeure en vous malgré l’amour, contre l’amour. N’importe quelle femme, élevée fémininement, adoptera sans révolte les croyances d’un amant très aimé… Vous, qui souhaitez vous donner tout entière, âme et corps, vous serez capable, un jour, de vous reprendre.

— Oh ! ne dites pas cela !

— Recommencez donc cette ridicule tentative de conversion… Mortifiez-vous, abrutissez-vous au ronron des prières… Vous deviendrez une folle amoureuse, et jamais une sainte… Et, quoi que vous fassiez, votre janséniste vous méprisera.

— Pourquoi ?

— Parce que vous êtes l’Amour, Fanny ! vous êtes le Péché, la forme sensible de la concupiscence… Je suis étonné que M. de Chanteprie ne vous haïsse pas, au fond du cœur… Mais sachez-le bien : s’il a quelque remords d’offenser son Dieu et sa vertueuse mère, il ne se fera pas scrupule d’être votre bourreau… »

Le coude sur le genou, le menton sur la main, elle regardait fixement les arabesques du tapis.

« Vous êtes fâchée ?

— Je ne suis pas fâchée ; je suis effrayée… Mais je ne peux pas vous croire… Georges, vous avez désiré des femmes ; vous avez ressenti, pour quelques-unes, un goût plus vif, une tendresse plus délicate… Et vous pensez avoir aimé… Moi qui ne suis pas sans expérience du cœur des hommes, je vous affirme que vous n’avez aucune idée du véritable amour…

— Parce que je suis un homme sensé, bien portant, et non pas un jeune premier de comédie ?…

— Parce que vous êtes, avant tout, un égoïste, mon cher Barral. Vous ne pouvez vous oublier vous-même… Vous placez votre capital sentimental fort prudemment, et vous calculez fort exactement les rentes qu’il vous rapportera. Vous n’avez plus cette jeunesse de cœur qui séduit les femmes… Celles qui ne croient plus en Dieu, mon ami, se refont une religion avec l’amour, car nous avons toutes besoin d’adorer quelqu’un ou quelque chose… un amant ou un enfant, à défaut d’un Dieu.

— On l’a dit : il faut une religion pour les femmes !…

— Au moins, la religion de l’amour. Celle-là suffit à remplir notre vie… La femme normale, la femme que je crois être, ni