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rues de village, comme l’odeur même de l’automne mûrissant. Partout le cidre coulait des pressoirs, débordait des cuves. Jours mélancoliques d’octobre, jours enivrants !… La plaine fuyait en des bleus plus légers vers des horizons plus vagues, et les teintes attendries, les lignes amollies du paysage semblaient participer de l’exquise douceur de l’air qui s’insinuait dans les choses et dans les âmes…

Enfin, la porte du pavillon, cachée sous les viornes rougissantes, s’ouvrit pour la bien-aimée, furtivement, et l’ombre du chevalier Adhémar dut tressaillir quand les échos de la petite maison répétèrent des pas et des rires de femme.

Fanny connut le « Bosquet », le jardin à la française, le logis du maître des requêtes, les corridors dallés en blanc et noir, les escaliers à rampe brune, les portraits du grand salon. Elle contempla la ville aux toits enchevêtrés, l’horizon de plaine et de collines ; elle s’appuya aux balustres de la terrasse ; elle erra entre les murailles symétriques des tilleuls. Et toutes ces choses prirent une voix, racontèrent l’âme et l’histoire des Chanteprie…

Mais d’autres voix parlaient dans la maison du Pavot. Elles disaient le triomphe de la femme et de la nature, la douce faute de l’oncle Adhémar. C’était un Chanteprie, pourtant, ce gentilhomme philosophe. Comme tous les Chanteprie, né à Hautfort, il avait reçu la plus sévère éducation sous les yeux d’Agnès la miraculée. On l’avait porté, tout enfant, sur la tombe du bienheureux diacre, au charnier de Saint-Médard. Et la lecture de l’Émile et du Contrat social, le baiser d’une belle fille, le spectacle des jardins en fleur, avaient dissipé les terreurs chrétiennes dans son âme enchantée de vivre…

Un siècle avait passé. La maison ceinte de pavots élevait encore son défi devant le bâtiment érigé par le grand ancêtre, et le dernier des Chanteprie y ramenait l’amour.

Confinés dans cette retraite, durant les jours pluvieux, Augustin et Fanny s’enivraient d’eux-mêmes. Ils ne voyaient pas le sourire de Jacquine empressée à les servir, esclave-fée, protectrice et complice. Quand elle apportait leurs repas, elle annonçait bruyamment sa présence, heurtant ses galoches aux marches de l’escalier ; et le soir, quand elle réunissait en un seul trousseau toutes les clefs de la maison, elle avait une manière ambiguë de dire :

« Faut-il fermer le pavillon ? »