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maux avec patience, et avec impatience les remèdes du médecin.

— Vous n’avez donc aucun pourvoir sur elle, vous, son fils ?… Est-ce que votre mère vous fait peur ?

— Peur, non. Mais je suis saisi de respect quand je pénètre dans cette chambre nue et pauvre où ma mère vit depuis quinze ans. Ce que je devine de ses austérités me rend tout humble devant elle. Comment oserais-je discuter sa volonté ?

— Voilà une étrange façon de comprendre la tendresse maternelle et l’amour filial !… Votre mère se tuerait pour la plus grande gloire de Dieu que vous diriez encore amen !

— Si vous connaissiez ma mère, vous sauriez qu’elle ne veut point être aimée comme une autre… »

L’abbé Vitalis arriva. Tout le temps du dîner, Augustin raconta l’héroïsme et les souffrances de sa mère. Le prêtre blâma cet excès de zèle qui, prétendait-il, est une forme de l’orgueil. Et il montra que l’orgueil est l’apanage héréditaire des jansénistes.

« Il sont, comme disait plaisamment Voltaire, plein d’orgueil et de saint Augustin. »

Le nom de Voltaire mit Augustin en fureur, et, pendant que les deux hommes discutaient, Fanny s’étonna d’avoir cru à la possibilité d’une conversion et d’un mariage. Quand elle avait dit à Augustin, dans la prairie de Port-Royal : « Je ferai ce que vous voudrez ; je croirai ce que vous voudrez », elle avait obéi à une impulsion irrésistible… « Hélas ! pensait-elle, fût-ce pour sauver ma vie, je ne saurais me convaincre que deux et deux font cinq. »

« Eh ! disait Vitalis, répondant à Augustin, je ne défends pas les jésuites ; mais je vous affirme que l’homme muré vivant dans l’étroit cachot de la doctrine janséniste, s’y fût desséché et ratatiné. Les jésuites ont ouvert la brèche, donné un peu d’air et de jour… »

Il s’amusait parfois à taquiner M. de Chanteprie ; mais, ce soir-là, Augustin ne voulut pas comprendre les paradoxes de l’abbé. Fanny, tirée de sa méditation, vit en lui un homme qu’elle ne connaissait pas, raide et violent, âpre à la dispute, celui-là même dont Vitalis disait qu’il marcherait sur sa mère pour aller à Dieu.

« C’est un fanatique, pensa-t-elle avec effroi. Comme il oublie ma présence et notre amour ! »

Et tout haut :

« Messieurs, taisez-vous, je vous en prie, et quittons la table… Je vais vous faire un peu de musique pour calmer vos esprits. »