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— Je parierais cent sous que notre ami Vitalis a une pipe dans la poche de sa soutane, une grosse pipe en terre, patiemment culottée pendant les loisirs que les gens de Rouvrenoir font à leur pasteur.

— Ne pariez pas, vous gagneriez ! répondit Vitalis en exhibant un court « brûle-gueule » qu’il fit disparaître aussitôt. Cette pipe, une vieille amie, n’offense pas la vue de mes ouailles, bien au contraire ! Tant que j’ai fait du zèle, — je vous parle de mes lointains débuts à Rouvrenoir, — j’aurais rougi de vivre comme tout le monde, et j’affectais, naïvement, des allures de réformateur. Je tenais les gens à distance pour ne pas compromettre mon prestige, et les gens, me croyant fier, se divertissaient à mes dépens. Aujourd’hui, j’ai perdu cette ardeur de jeunesse, et mes illusions ; je demande peu pour recevoir moins encore, et mes paroissiens, ravis de n’être plus « embêtés », comme ils disent, vivent avec moi en bonne intelligence… Un curé qui presse le cidre, qui taille les arbres, et qu’on rencontre, le matin, tendant des pièges aux petits oiseaux, un curé qui fait des sermons très courts et n’attaque pas le gouvernement, on le respecte, on l’estime… Et personne ne s’avise plus d’imiter le corbeau derrière lui.

— Eh ! mon cher, dit l’abbé Le Tourneur, je savais bien que ça ne durerait pas, ce prosélytisme passionné, intransigeant. Mais vous allez aux extrêmes… Vous vous laissez tondre la laine sur le dos par le conseil municipal…

Au coup de dix heures, la famille Loiselier prit congé. Les adieux furent brefs et tièdes.

Pendant que les Courdimanche reconduisaient leurs