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même. Vous avez besoin d’être rassuré, encouragé… Voyez les hommes célèbres : ils s’appuyaient tous sur une affection…

M. de Chanteprie devint glacé. La dame avait l’air de parler pour son propre compte… Oubliait-elle la triste Eulalie et le projet de mariage ? S’offrait-elle comme belle-mère, ou comme Égérie ? Ses yeux d’ogresse s’attendrissaient.

Alors, sans négliger de répondre à madame Loiselier, Augustin se tourna plus souvent vers mademoiselle Eulalie. Il essaya de la faire causer, mais « Fillette » ne répondait que par monosyllabes. Et M. de Chanteprie, plus attentif, remarqua l’oreille de la jeune fille, une oreille large et plate, découverte par les cheveux plantés trop haut, une oreille anémique, une oreille bête !…

Maintenant, madame Loiselier jouait consciencieusement son personnage de mère noble. Elle parlait de sa vie à Paris, une vie remplie par les devoirs mondains et les bonnes œuvres. Elle citait les noms de prêtres, d’évêques, de philanthropes professionnels… Ah ! « Fillette », dans un tel milieu, avait été bien élevée !… M. de Chanteprie écoutait sans entendre, obsédé, agacé par l’oreille plate et pâle dont il ne pouvait détacher son regard. Et, soudain, il revit le profil de Fanny Manolé sous la dentelle, et l’oreille délicate, rose, toute petite, mi-cachée par le feston du tulle et la masse bouclée des cheveux noirs.

Et la pensée du jeune homme s’évada, bien loin des Loiselier et des Courdimanche, vers les arbres blancs, les prés en fleur, les chemins bordés de violettes, et l’immense horizon bleuâtre… Il se rappela,