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— Ils la connaissent donc ?

— Pas que je sache ! dit madame Loiselier avec humeur. Mais, dans ces petites villes, un jeune homme ne peut pas parler à une dame sans que tous ses concitoyens en soient avertis.

— Je ne fréquente guère mes concitoyens, madame.

— Vous êtes un sauvage.

— À peu près… Je reste quelquefois huit jours sans lire un journal.

— Ne vous en vantez pas, mon ami ! cria l’abbé Le Tourneur, à travers la table. C’est un péché, un grand péché, de s’asseoir au bord de l’arène, en spectateur, pendant que les lutteurs du bon Dieu s’agitent… Madame, il faut gronder ce jeune homme. Il faut le persuader d’ « entrer enfin dans l’action».

La voix éclatante de l’abbé Chavançon couvrit tous les discours :

— …J’ai dit au curé : « Ce n’est pas une raison parce que je suis le plus jeune vicaire pour qu’on m’inflige toutes les corvées… »

Le capitaine découpait la dinde rôtie. L’abbé Vitalis écoutait mademoiselle Courdimanche qui gémissait sur la cherté du beurre et l’impiété de la femme de ménage. M. Loiselier expliquait que la France allait à sa ruine. « Fillette » regardait en dessous le jeune homme, et madame Loiselier, se rapprochant d’Augustin, murmurait tout bas :

— Oui, certes, il faut entrer dans l’action… Qu’attendez-vous ? l’occasion propice ? Elle s’offrira, tôt ou tard… Douteriez-vous de vos capacités ?

— Je ne suis pas ambitieux.

— Parce que vous n’avez pas confiance en vous-