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ne valait ni plus ni moins qu’un autre fonctionnaire. Il faisait proprement son service, touchait ses appointements, et vivait content de soi et des autres. Chaque été, il partait pour un grand voyage, ravi d’échanger sa robe contre des vêtements civils : alors, il allait au théâtre, au concert, heureux de son escapade comme une femme du monde qui se compromet. Et il était si peu prêtre, par l’accent et l’allure, qu’on le prenait partout pour un acteur.

Cette incorrigible gaminerie, cette bonne humeur débraillée avaient charmé les Loiselier. Monsieur était un de ces hommes dont on ne dit rien, qu’on voit à peine, un quinquagénaire effacé, timide, qui était toujours de l’avis de tout le monde. Un sang pauvre colorait mal ses joues rasées, et, avec ses cheveux rares et pâles, avec ses chairs blêmes, M. Loiselier avait l’air d’un navet malade. Il tremblait devant madame son épouse, une maîtresse femme, qui était le maître de la maison. Grande, vigoureuse, d’une beauté de belle caissière qui a séduit le patron, madame Loiselier portait des robes cossues, des gourmettes d’or aux poignets, des chapeaux à plumes. Elle aimait l’argent, et tenait à sa réputation. Impitoyable aux servantes qui « fautaient », elle terrifiait les employés, quand elle traversait la boutique, parmi les Jésus peinturlurés et les ostensoirs de vermeil.

Assise sur le canapé, cette majestueuse personne écoutait en bâillant les discours du capitaine et songeait que le gendre promis ne se hâtait point d’arriver. Impatiente, elle tançait « Fillette », qui oubliait de se tenir droite, oubli fâcheux, car Eulalie Loiselier avait