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la plaine avec ses traînées de bois, ses grandes places blondes où flotte l’ombre des nuages, ses labours rougeâtres, ses villages égrenés, ses clochers pointants, ses peupliers rangés au bord des routes ; la plaine infinie sous le ciel infini, l’espace qui fascine le regard, l’azur vertigineux où court le vent libre et dont s’enivrent les oiseaux.

Fanny, muette de plaisir, retenait d’une main les plis de son voile au bord de sa toque. Elle ne voyait pas, ou semblait ne pas voir que M. de Chanteprie l’observait… Belle et jolie, très brune, les cheveux massés sur les tempes en boucles compactes et luisantes comme des grappes de raisin noir, elle avait quelque chose d’italien, dans le contour des joues, dans la forme des sourcils droits, du nez fin, de la bouche en arc… Oui, elle rappelait les figures ambiguës, mi-anges, mi-bacchantes, qui tiennent une croix comme un thyrse et sourient mystérieusement dans les fonds enfumés d’anciens tableaux.

— Il doit faire bon vivre, ici… dit-elle.

Et ses yeux à longues paupières, à larges prunelles veloutées, ses beaux yeux interrogateurs et caressants, rencontrèrent les yeux d’Augustin.

Il vit une intention moqueuse dans ce regard, dans ces paroles, et se détourna, raide et gêné. Car Augustin de Chanteprie, à vingt-trois ans, avait tout l’ombrageux et douloureux orgueil des adolescents qui croient les femmes toujours occupées d’eux, ironiques et malveillantes.

— Eh bien, monsieur, dit madame Lassauguette, je verrai votre mère, cette après-midi. Pourrait-on déjeuner chez votre fermier ? Nous sommes très fati-