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LA MAISON DU PÉCHÉ

douceur et la puissance. Ses yeux, depuis longtemps détournés de la nature, ne cherchaient plus que la lumière incréée, la lumière que voyaient Jacob et Tobie aveugles. Et plus que la nature, l’art, même l’art chrétien, inquiétait Forgerus.

Il se rappelait d’étranges sensations de son enfance, lorsque sa mère le traînait d’église en église, dans la ville demi-espagnole qu’ils habitaient. Madame Forgerus était une femme brune, sèche, laide, avec des yeux magnifiques où brûlaient tous les bûchers de l’Inquisition. Elle aimait son mari et son fils d’un amour prompt aux caresses et aux injures, aisément dominateur et qui jouissait d’être humilié. Et elle aimait Dieu de la même façon, avec des raffinements et des violences. La nuit des cryptes, le brasillement des cierges, les images effroyables de la mort et de la pourriture, les extases ruisselantes de pleurs, toute la matérialité du culte l’attiraient. Elle attachait sa dévotion comme un ex-voto espagnol, un cœur d’or brillant et creux, au socle des Vierges noires.

Elevé par cette femme, Forgerus avait manqué d’être l’adolescent faussement pieux et faussement sentimental qui demande des excitations passionnelles aux hymnes sacrées, aux fleurs, à l’encens, au sourire même de la Vierge, — et ce souvenir l’emplissait de honte. Maintenant il repoussait l’intrusion sacrilège de la littérature dans la religion, la fausse grandeur, le charme malsain qu’elle y ajoute. L’art n’est-il pas le piège où l’âme, en quête d’émotion pieuse, trouve, avec l’illusion de la ferveur, un charnel et dangereux plaisir ?

Forgerus se promit d’accoutumer son élève à la