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qui restait d’eux, un petit tas d’ossements qui, chaque jour, tombe en poussière ; une image confuse dans la mémoire des hommes qui, chaque jour, va s’effaçant… Ceux qui avaient aimé Augustin, ceux qui l’avaient connu, mourraient aussi, en peu d’années, et bientôt personne ne prononcerait plus son nom, personne ne se rappellerait plus sa forme terrestre, et ce serait l’anéantissement total, la fin véritable.

Augustin pencha la tête, et il sentit contre sa tempe la caresse soyeuse de ses cheveux ; il ferma et rouvrit ses paupières qui obéirent au commandement de ses nerfs ; il serra ses mains l’une contre l’autre, et fit mouvoir ses doigts… Quoi ! il vivait ; très faible, certes, mais il vivait !… Et dans quelques heures, peut-être, il ne serait plus lui, il serait cette chose qu’on appelle un mort… Et dans huit jours, dans quinze jours… que serait-il, que seraient ses paupières, ses lèvres, ses mains ? Ses mains ! Il les éleva un peu contre le jour, et les considéra avec une attention extrême, avec une sorte de pitié.

« Le temps où je ne serai plus… Je ne peux pas concevoir un temps où je ne serai plus… Et ceux qui sont morts, je ne peux pas concevoir qu’ils existent encore, dans un lieu innomé, indéfinissable… Mon père… le vieux garde-chasse des Trois-Tilleuls… Faron l’ivrogne… la petite Mélie, la fille du maréchal… Nous les vivants, — puis-je dire encore que je suis un vivant ? — nous pleurons nos défunts, parce que les âmes désincarnées nous sont aussi étrangères que les corps inanimés… À notre regard, à notre sentiment, les morts sont bien morts…

Il frémit…