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LA MAISON DU PÉCHÉ

cette aube et de ce printemps. La ville étalée en croix sur la pente, l’horizon de bois et de collines semblaient transparents, irréels, peints en grisaille sur une gaze d’azur. Les nuances incertaines du vert et du mauve, les roses naissants s’y confondaient par des transitions si délicates que les yeux séduits ne s’attardaient point à les reconnaître : ils n’en retenaient qu’une impression d’ensemble, la douceur d’une vision bleue, suavement bleue, prête à s’évanouir.

— Hé ! cria quelqu’un, vous voilà bien matineux, monsieur le maître !

Forgerus aperçut Jacquine, agenouillée près d’un carré de verdure. Il remarqua le visage singulier de cette femme, son nez mince et courbé, ses sourcils touffus, ses yeux d’or, un peu enfoncés, fixes et fascinants comme les yeux des chouettes.

— Vous avez faim, peut-être ?… je vas vous porter votre déjeuner.

— Je ne prends rien avant midi, Jacquine. Ne vous inquiétez pas de moi.

— Pourquoi ? dit-elle, d’un air méfiant. C’est par dévotion ?

Forgerus sourit :

— Peut-être…

— Comme madame, alors… Oui, vous êtes un homme pieux, et madame est une sainte. On l’appelle la Sainte, dans le pays. Mais, dites voir, est-ce que vous lui permettrez de déjeuner, au petit fieu ?

— Certainement.

— Vous ferez bien. Il a le tempérament du père, cet enfant-là.

— Vous avez connu M. de Chantepie, Jacquine ?