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impérieux et placide, lui apparaissait puissant comme un dieu, maître de sa destinée. Elle ne savait comment gagner du temps pour le retenir, le fléchir peut-être… Sur un mot de lui, elle eût baisé les pieds de Forgerus.

— Vous êtes intelligente, votre cœur n’est pas profondément perverti… Élevez-vous au-dessus des rancunes vulgaires. Bénissez la main qui vous frappe pour vous sauver. Montrez-vous digne, enfin, de l’affection qu’Augustin vous garde encore. L’épreuve vous sera salutaire, la douleur méritée, humblement soufferte, vous rapprochera de Dieu. Essayez de prier.

— Prier ? dit-elle. Pourquoi ?… Une douleur méritée ?… Je ne comprends pas… Quel mal ai-je fait ? pour quel crime me punissez-vous ?… J’aimais Augustin ; il m’aimait… Est-ce que nous n’étions pas libres ?… Est-ce que je recherchais la fortune de M. de Chanteprie, ou son nom ?… Je ne voulais de lui que lui-même… Je supportais tout de lui… J’acceptais tout… Il m’a envoyée chez l’abbé Le Tourneur ; il aurait pu m’envoyer chez un pasteur ou chez un rabbin… J’y serais allée de la même façon, avec la même bonne volonté… Je me suis appliquée à croire… Je n’ai pas pu… Est-ce ma faute ? Si vous n’avez que ça à me reprocher, vous êtes bien injustes, vous tous… Ah ! ce serait si simple de vivre, d’aimer, d’être heureux, sans penser aux choses de l’autre monde !… S’il y a un Dieu, qu’est-ce que ça peut bien lui faire qu’Augustin de Chanteprie et moi nous nous aimions ?

— Seigneur ! pardonnez à cette femme, pensait Élie Forgerus. Elle ne sait ce qu’elle dit !