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LA MAISON DU PÉCHÉ

son œil gauche crevé par un coup de baïonnette et noyé dans un larmoiement perpétuel, avec ses rudes cheveux gris, sa moustache en brosse, son cuir tanné et coloré, avec sa piété puérile, avec ses manies, avec ses lapins, le capitaine Courdimanche eût mérité une petite place, dans le ciel, à côté du Père Séraphique, amant de Dame Pauvreté et charmeur d’oiseaux.

On disait bien qu’il avait vécu dans l’indifférence jusqu’à son tardif mariage, et que la mort de sa pieuse jeune femme avait opéré le miracle de sa conversion. Mais le capitaine n’avait jamais oublié tout à fait la religion pratiquée dès l’enfance, négligée pendant la jeunesse, retrouvée dès le premier deuil de l’âge mûr. Il avait besoin d’adorer, de vénérer, de servir. Esprit simple et simple cœur, incapable de raisonner et de discuter, il n’était pas redevenu chrétien, il n’avait jamais cessé de l’être.

La sœur du capitaine ne lui ressemblait pas. Elle gardait, à cinquante ans, un charme puéril et candide, et ce n’était guère qu’une vieille enfant. À force de traîner dans les chapelles, ses robes conservaient une odeur d’encens, de jacinthe, de roses blanches. Ses joues étaient pâles comme des hosties. Ses mains semblaient modelées dans la cire des cierges neufs. Mademoiselle Cariste ne soupçonnait même pas l’amour, la curiosité, l’ambition, cette « triple concupiscence » qui est l’effet du péché originel. Son âme, engourdie dans l’innocence et l’ignorance, était toute fraîche encore du baptême. Ses jours s’égrenaient comme un chapelet d’ivoire, marqués par des pratiques pieuses, de petits chagrins, de petits plaisirs. Elle brodait des nappes d’autel, faisait des sirops