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Louise Robert, c’étaient l’Ève brune et l’Ève blonde, c’était l’amour… Et tous vibraient d’une vie centuplée par le contact des autres vies ; tous apportaient l’écho d’une immense rumeur, le reflet d’un foyer immense. Comme ils étaient de leur temps et de leur pays, ceux-là ! Par eux, à travers eux, Augustin devinait tout un monde inconnu de labeur, de souffrance, de joie, des milliers d’êtres acharnés à combattre pour la gloire, pour la fortune, pour le misérable pain quotidien. Il devinait le peuple pensif des écoles et des laboratoires, le peuple sombre des faubourgs, le peuple brillant des salons et des lieux de plaisir, tout le Paris contemporain, ce que l’Église nomme d’un nom significatif : « le Siècle ».

Et parmi ces hommes et ces femmes, M. de Chanteprie éprouvait l’angoisse nerveuse d’un voyageur égaré dans un pays nouveau, chez des gens dont il ignore les mœurs, dont il n’entend point la langue. Qu’y avait-il de commun entre eux et lui ? Aucun mode de pensée ou de sentiment. Ils ne reconnaissaient pas la même loi. Ils n’avaient pas la même raison de vivre.

Et c’étaient ses compatriotes, ses contemporains, ses frères, des chrétiens rachetés par le sang de Jésus, lavés par le baptême… Avaient-ils souci de leur âme ? Considéraient-ils comme la règle unique de leurs actions l’intérêt de cette âme immortelle ? Songeaient-ils quelquefois à l’éternité de bonheur ou de souffrance qui les attendait ? Savaient-ils seulement qu’ils avaient une âme ?

Non. L’horizon de la vie terrestre bornait leur vue et leur désir. Rennemoulin parlait bien de devoir et