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d’un silence, puis la phrase commencée se confondait dans le brouhaha des conversations. « Plein air… décomposition du ton… Degas… Monet… » C’étaient Fanny et Saujon qui parlaient. « Prolétariat… miséreux… harmonie… » C’était Coquardeau qui avait tiré un papier de sa poche et lisait quelque manifeste anarchiste au père Bruys. « Symbolisme… débris du Parnasse… » C’était Rèche, racontant à Barral les détails d’une « enquête » littéraire. Ces gens assemblés ne parlaient ni d’argent, ni de femmes, ni de petits événements de leur vie quotidienne. On eût dit qu’ils n’avaient point d’autre souci que l’art, la littérature, la politique. Et, par un contraste déconcertant, leur émotion s’exprimait en paradoxes bizarres ; l’argot des ateliers, ou du boulevard, prêtait une forme ironique à leurs enthousiasmes sincères et à leurs sincères indignations. L’un débitait des folies sur un ton grave ; l’autre disait plaisamment des choses touchantes et profondes.

En vrai provincial qu’il était, M. de Chanteprie les avait considérés d’abord comme des Parisiens bavards, légers, et qu’on ne saurait « prendre au sérieux» !… Mais peu à peu il croyait voir se dessiner le caractère de chaque personnage. Saujon avouait fièrement la pauvreté joyeuse, l’ardente foi de l’artiste. Un rêve de justice universelle habitait sous le front énergique de Coquardeau, sous le front lassé du père Bruys. Rèche, c’était le besogneux élégant, l’ingénieux Protée qui voit tout, connaît tout, dépiste à travers Paris « l’actualité » capricieuse. Barral, c’était le dilettante voluptueux, habile à tirer de toutes choses les éléments d’un plaisir. Fanny Manolé,