Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et puis, là-dessus, un ciel d’aube, vaporeux, nacré, un ciel à la Corot… Et sous ce ciel, dans ce pré, devant les saules, un garçon et une fille tout nus, qui jouent, après le bain matinal… Hein ? Coquardeau, la fille !

Coquardeau répondit :

— Épatante !

— J’ai déniché un petit modèle que j’ai fait venir là-bas, chez ma belle-mère… Ah ! mes enfants ! quel scandale !… La vieille n’a jamais voulu que je fasse poser la gosse dans son pré… un pré où il n’y a jamais personne… Mais si vous saviez quelle jolie poulette ! Quinze ans, des seins menus, fleuris, un ventre… Il faudra que je vous donne son adresse, Fanny !

— Donne-la-moi plutôt ! cria le grand Rèche, qui causait dans un coin avec Barral.

Coquardeau n’y tenait plus : il alla prendre le petit groupe de Rodin, le plaça et le déplaça pour faire jouer les ombres. Ses gros doigts caressaient délicatement, tendrement, les croupes cambrées, les omoplates saillantes, les têtes à peine ébauchées des deux femmes. Enfin, il remit le groupe sur la console et dit encore :

— Épatant !

Maintenant, tous parlaient à la fois, et M. de Chanteprie écoutait, regardait, assis dans l’ombre, au bout du divan. Une atmosphère plus chaude, plus vibrante, circulait dans l’atelier, une atmosphère où les idées, les images semblaient éclore, fulgurer, disparaître comme des éclairs dans un ciel d’orage. Des mots, prononcés à voix plus haute, surgissaient à la faveur