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son mari, mais, résolument, elle défendait sa porte. Chez elle, un petit groupe d’amis étaient reçus, dans l’intimité, des amis dont elle avait découragé, à temps, la galanterie. Les uns, artistes comme elle, jeunes et pauvres comme elle, avaient fini par oublier son sexe et par la traiter en confrère. Les autres s’amusaient à la regarder vivre, par curiosité. Cette jolie femme n’allait pas demeurer seule, jusqu’à cinquante ans ?… Tôt ou tard, elle « aurait quelqu’un » : qui serait le « quelqu’un » ? Barral sans doute. Riche, audacieux, il avait des chances… Et Jules Rèche, reporter au Parisien, avait déclaré, maintes fois, que Barral était « grand favori ». Et Jules Rèche connaissait les femmes !…

Fanny, chaudement dévouée à ses amis, savait le fort et le faible de chacun. Saujon, le paysagiste, avait une langue d’enfer, le bagout d’un gamin de Montrouge. Coquardeau, le sculpteur, le meilleur des hommes, ne pouvait pas dire quatre paroles sans menacer Dieu, la patrie, la famille et la propriété. Le père Bruys, vieil ouvrier d’art, camarade d’école de Jean Corvis, et « ancien combattant de la Commune », sentait quelquefois le vin… Évidemment, ni Saujon, ni Coquardeau, ni Bruys n’avaient été élevés sur les genoux des duchesses. Et même ils n’avaient pas été élevés du tout. C’étaient des caractères nets, précis : l’éducation, les habitudes de politesse mondaine, n’avaient pas émoussé leurs angles et aplani leurs reliefs. Fanny les aimait dans leur vérité, dans leur naïveté pittoresque et parfois brutale… Mais elle sentait qu’Augustin de Chanteprie éprouverait à leur brusque contact de la surprise, de la répulsion, ou tout au moins de la méfiance.