Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— J’accepte l’invitation. Elle m’est trop agréable pour que je me fasse prier, bien que je sente toute l’indiscrétion de ma requête…

Fanny se réjouissait dans son cœur. Elle avait invité le rédacteur de l’Oriflamme un peu pour madame Robert et beaucoup pour Augustin. Armand Rennemoulin, disert, spirituel, « homme du monde » et catholique militant, devait rassurer M. de Chanteprie. Barral, dûment chapitré, avait promis de se tenir tranquille, de ne pas lâcher ses paradoxes coutumiers, ses boutades incongrues, au travers d’une conversation que Fanny voulait sérieuse et convenable surtout. La pauvre amoureuse, hantée par le désir de distraire Augustin, de l’enlever au morne milieu provincial, avait cherché autour d’elle quelle sorte de personnes pourraient se lier avec M. de Chanteprie. Elle fréquentait ce monde composite qu’on ne voit nulle part ailleurs qu’à Paris, ce monde qui touche à tous les mondes, où l’on trouve des artistes, des hommes de lettres, des amateurs, des bohèmes, des journalistes, des bourgeois intelligents, d’anciens ministres, de jeunes députés, de très honnêtes femmes et des femmes demi-galantes, des gens presque illustres et des gens presque tarés. Fanny, élevée par Jean Corvis dans ce monde bizarre, amusant et dangereux, l’avait quitté pour vivre sous l’égide des Lassauguette. Elle y était rentrée par son mariage. Veuve et seule, n’ayant plus de défenseur officiel, n’ayant pas de protecteur officieux, elle avait éprouvé la méchanceté des femmes et la grossièreté des hommes. Elle faisait encore, chaque hiver, quelques visites dans les salons où elle retrouvait d’anciens camarades de son père et de