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mélancolies. Trop tôt séparés, elle à Paris, lui à Hautfort, repris tous deux par les habitudes anciennes, ils souffraient de s’attendre et de se quitter ; ils souffraient presque de se voir. Leurs âmes, exaltées, déprimées tour à tour, oscillant comme des balances affolées, n’étaient jamais en équilibre et sur le même plan.

Fanny habitait au coin de la rue Boissonade et du boulevard Raspail, en face du cimetière Montparnasse, un logement avec atelier. Augustin détestait le boulevard trop large, les terrains à bâtir, clos de palissades, les maisons neuves, d’un blanc cru, alternant avec des bicoques ouvrières. Il détestait la maison, le vestibule encombré de voitures d’enfants, la figure impudente de la concierge. Où étaient les beaux décors d’amour, les Trois-Tilleuls, la forêt d’automne, la chambre exquise du pavillon ?… Dès sa première visite, Augustin n’avait pu s’empêcher de dire à Fanny :

— Ne souffrez-vous pas de vivre ici ? Tout ce qui vous entoure, les choses et les gens, me paraît indigne de vous.

Elle avait souri tristement ; elle avait répondu :

— L’atelier est commode, bien éclairé, pas cher… Et… je ne suis pas riche.

— Je le savais, ma chérie, mais je ne m’en étais jamais aperçu, là-bas… Et, sans blesser votre délicatesse, je voudrais…

— Quoi ?…

— Ne suis-je pas votre ami votre amant, l’époux de votre cœur ?… Je voudrais…

Elle lui mit la main sur la bouche :

— Non, vous ne pouvez rien : je n’accepterais rien de vous. Si nous vivions ensemble, mariés, tout