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un Chanteprie, pourtant, ce gentilhomme philosophe ! Comme tous les Chanteprie, né à Hautfort, il avait reçu la plus sévère éducation sous les yeux d’Agnès la miraculée. On l’avait porté, tout enfant, sur la tombe du bienheureux diacre, au charnier de Saint-Médard. Et la lecture de l’Émile et du Contrat social, le baiser d’une belle fille, le spectacle des jardins en fleur, avaient dissipé les terreurs chrétiennes dans son âme enchantée de vivre…

Un siècle avait passé. La maison ceinte de pavots s’élevait encore, comme une protestation, comme un défi, en face du bâtiment conventuel érigé par le grand ancêtre, et le dernier des Chanteprie y ramenait l’amour.

Confinés dans cette retraite, durant les jours pluvieux, Augustin et Fanny s’enivraient d’eux-mêmes. Ils ne voyaient pas le sourire de Jacquine empressée à les servir, esclave-fée, protectrice et complice. Quand elle apportait leurs repas, elle annonçait bruyamment sa présence, heurtant ses galoches aux marches de l’escalier ; et, le soir, quand elle réunissait en un seul trousseau toutes les clefs de la maison, elle avait une manière ambiguë de dire :

— Faut-il fermer le pavillon ?

Ces paroles donnaient le signal du départ, Fanny s’enveloppait dans un châle, et, comme à regret, M. de Chanteprie disait :

— Fais atteler la voiture, Jacquine. Je vais reconduire madame Manolé aux Trois-Tilleuls.

À travers la grille du potager, la servante regardait s’éloigner le vieux cabriolet, sur le chemin du Chêne-Pourpre. Ironique, elle haussait les épaules d’un air de pitié.