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un candidat de son choix au député radical de l’arrondissement. Quand il songeait aux élections, Fanny ne lui semblait plus trop orgueilleuse. Il la ménageait et il ne désespérait plus de l’amener, l’amour aidant, à un catholicisme aimable et modéré, très suffisant pour une dame du monde.


Cependant, Augustin commençait à craindre que son zèle imprudent ne conduisît la jeune femme à une conversion mi-sincère, sans profondeur, sans solidité. Lui-même était troublé à la pensée d’interminables fiançailles… Les pieuses lectures qui avaient longtemps nourri et fortifié sa confiance, le jetaient en d’étranges perplexités. Telle phrase de Bossuet ou de saint Augustin, telle page de saint Jean Chrysostome prenaient un sens nouveau qui inquiétait M. de Chanteprie… Ce qu’il appelait « tendresse », les docteurs l’appelaient « concupiscence ». La sainteté même du mariage, disaient-ils, peut être offensée par un trop violent amour pour la créature. Augustin ne pouvait croire que le démon de la luxure l’eût pris au piège d’une noble et sainte illusion, mais il comprenait enfin qu’il aimait Fanny pour elle-même et pour lui-même. Certes, le nom adoré, « Fanny », n’était plus le nom terrestre d’une âme : Augustin ne le prononçait plus sans évoquer le visage ardent et pâle, les molles grappes de cheveux noirs, le sourire flottant entre la joue et la lèvre, l’élégance du cou, la plénitude de la gorge devinée sous le vêtement. Fanny, c’était une femme, et c’était la femme.

Il en avait éprouvé la puissance, le soir où, dans le bois mouillé de lune, une force magique l’avait courbé