Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fit un « Oh ! » de surprise. Augustin se releva, et, prévenant le reproche qu’il prévoyait :

— J’ai déchiré votre robe. Je suis un maladroit. Je m’humilie… Ne dites rien.

Elle demeurait stupéfaite. Quoi ! le janséniste opiniâtre, l’austère M. de Chanteprie, celui qui discutait si rudement, tout à l’heure, et ne souffrait pas la contradiction, il avait pu se prosterner devant une femme, lui baiser les pieds, dans un élan d’amour éperdu ?

Hors du bois, ils trouvèrent l’abbé qui les attendait, Fanny, un peu confuse, lui expliqua l’accident, et tous trois s’en allèrent jusqu’au presbytère. L’abbé paraissait fatigué, triste peut-être.

— Le brouillard monte, dit-il ; ne vous attardez pas… Rentrez chez vous, madame. Adieu.

Augustin et Fanny étaient seuls, maintenant. Ils remontèrent vers le Chêne-Pourpre, et, soudain, s’arrêtant au milieu du chemin, ils s’embrassèrent.

Tout près, un grand châtaignier abritait quelques masures. Le feuillage, décoloré par la lune, se perdait dans le bleu verdâtre du ciel. Une cendre aérienne diluait au loin la forêt grise, et les murs des maisons étaient d’un blanc miraculeux, d’un blanc de lait, très pur, sous les chaumes sombres. On ne reconnaissait plus le paysage. Les choses prenaient un aspect immuable et mort, comme si la nuit délicieuse était le commencement d’une éternité, comme si le soleil ne devait plus revenir, jamais, et ranimer le monde…

Ni feux, ni bruit… Rien qui révélât la présence des êtres endormis derrière les murailles. Les cra-