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mais, ce soir-là, Augustin ne voulut pas comprendre les paradoxes de l’abbé. Et Fanny, tirée de sa méditation, vit en lui un homme qu’elle ne connaissait pas, raide et violent, âpre à la dispute, celui-là même dont Vitalis disait qu’il marcherait sur sa mère pour aller à Dieu.

« C’est un fanatique, pensa-t-elle avec effroi. Comme il oublie ma présence et notre amour ! »

Et tout haut :

— Messieurs, taisez-vous, je vous en prie, et quittons la table… Je vais vous faire un peu de musique pour calmer vos esprits.

Elle se mit au piano. Un long arpège éclata, comme une fusée mélodieuse. La porte de la salle à manger, grande ouverte, découpait un rectangle pâle qui fascinait le regard. Il n’était pas tout à fait nuit. Le ciel passait lentement du rose au mauve, et déjà, sur la terrasse, le disque de la pleine lune émergeait parmi les branches des pommiers.

— Écoutez… C’est une valse de Chopin.

De lentes spirales mélodiques se déroulaient, s’élargissaient, plus rapides ; des paysages s’ébauchaient, tout de cristal et de vapeur, habités par les fées tournoyantes de la valse ; et parfois, mêlée aux sanglots stridents, aux rires surnaturels, une plainte s’élevait, une plainte humaine, un soupir d’extase et d’amour…

Dehors, les masses d’arbres, les chaumes s’enfonçaient en un mystère bleuâtre. Le mur de la cour devint noir, et le sable des allées commença de blanchir entre les pelouses. Puis un rayon toucha la pierre pâlissante du seuil, glissa sur le carreau, jusqu’aux pieds de la musicienne, et cela fit, à travers la salle