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simples, dociles, pieuses sans mysticisme, car il craignait les fanatiques, les illuminées, les candidates à la sainteté, et il avait assez d’une madame de Chanteprie dans sa paroisse. Mais il haïssait, par-dessus tout, les savantes et les raisonneuses… On peut, on doit discuter avec un homme ; à une femme, on doit imposer les idées, despotiquement… Or, Fanny n’accueillait pas comme une manne céleste les moindres paroles du prêtre. Elle avait des étonnements scandaleux, des curiosités impertinentes. Entre elle et M. Le Tourneur c’étaient des escarmouches perpétuelles, chacun guettant l’autre au détour d’un syllogisme. À chaque instant, l’abbé se précipitait sur ses livres, extrayait des citations qu’il lançait comme des bombes sans que l’évidence éclatât jamais aux yeux effarés de l’incrédule. Il énumérait les grands hommes qui avaient fait profession de foi catholique ; Fanny énumérait tous les autres grands hommes qui avaient vécu dans l’indifférence. Et c’étaient des duels acharnés où le prêtre et la femme se battaient à coups de noms célèbres : Spinoza contre saint Augustin et Darwin contre Moïse. M. Le Tourneur finissait par raconter la folie de Nietzsche, la coprophagie de Voltaire et la conversion in extremis de Littré.

— Voilà où nous en sommes, monsieur l’abbé ! conclut Fanny. J’ai essayé de me monter l’imagination ; j’ai soigneusement cultivé ma sensibilité. J’ai commencé de pratiquer avant de croire… Et je ne suis pas plus avancée qu’il y a deux mois.

L’abbé hocha la tête.

— J’ai vu se convertir de francs païens au déclin de l’âge, parce qu’ils se souvenaient, malgré eux, du