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branches, l’odeur de miel qui monte des taillis, le perpétuel ravissement, la surprise, l’éveil intérieur d’une âme nouvelle à qui tout paraît nouveau !…

Fanny se laissa conduire, indifférente aux paysages qu’elle parcourait dans le demi-somnambulisme des grands bonheurs. Une stupeur divine paralysait sa raison. Domptée, esclave, suspendue au bras d’Augustin, elle n’était plus qu’une sensibilité frémissante. Longtemps, ils s’égarèrent dans les bois des Mollerets qui dominent Port-Royal, et, le chemin s’abîmant tout à coup, ils s’arrêtèrent sur la crête de la colline. Un promontoire de rocher s’avançait en proue, surplombant des coulées d’argile rouge, et, sous le vaste ciel bleu et blanc, sous le ciel à gros nuages cernés d’une ligne brillante, c’était le panorama de la vallée toute verte : le vert acide des prairies rayées par les rubans des routes, le vert olivâtre des bruyères, le vert argenté des trembles et des peupliers, le vert compact et moutonnant des bois qui dessinent sur l’horizon une longue ligne circulaire.

Augustin et Fanny se reposèrent sur la roche où croissaient de maigres pins. Des feuilles mortes pourrissaient dans les flaques d’eau qu’un orage avait laissées aux creux de la pierre. Assis côte à côte, mains unies, fronts rapprochés, ils sentaient planer la mélancolie de l’espace et du silence.

— Êtes-vous heureuse, Fanny ?

— Trop heureuse. Je voudrais que demain ne vînt jamais.

— Demain sera plus beau qu’hier.

— Je connais les lendemains… Oh ! la douceur de l’amour qui commence !