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Il la tenait contre sa poitrine. Elle renversa la tête, et dit dans un soupir :

— Si c’était vrai !… Mais que faites-vous ? Vous me connaissez à peine. C’est une folie, mon pauvre enfant !… Vous êtes si jeune !… Et moi, j’ai vécu dix vies… Voilà que je n’ose plus vous regarder, vous parler… J’ai presque honte…

— Vous avez tant souffert ! Il faut être heureuse, ma Fanny.

— Ah ! dit-elle, personne ne vous ressemble, personne n’aime comme vous… Eh bien ! persuadez-moi, entraînez-moi. Je ferai tout ce que vous voudrez, je croirai tout… Je ne savais pas tant vous chérir… Dites encore : « Ma chère âme… »

Il balbutia :

— Ma chère âme…

Le vent se levait ; les peupliers frémirent dans la lumière et, sur la prairie, une longue vague verdoyante ondula. Les roses pourpres, à la ceinture de Fanny, s’effeuillèrent… La brise éparpilla les pétales par-dessus la haie, jusque sur la pierre de Racine. Les amants oubliaient le lieu, et l’heure, et qu’ils marchaient sur des tombeaux ; ils se regardaient face à face, avec des yeux éblouis…


De cette heure, des heures qui suivirent, il leur resta le souvenir lumineux et flottant d’un songe, images éparses, sensations confuses, paroles inachevées et recommencées toujours… Ils déjeunèrent à la Chabourne, en plein air, dans le jardin de l’auberge, et l’hôtesse s’étonna qu’ils n’eussent pas faim. Ah ! le repas sur la table rustique, le bleu du ciel entre les