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vers Racine… Nous parcourûmes les bois où l’élève de Lancelot appelait tout bas Chariclée. Nous passâmes sous ces peupliers qui ont la noble élégance, le jet ferme et pur du vers racinien, et qui murmurent éternellement une tremblante élégie… Écoutez, madame, les peupliers de Port-Royal.

Il montrait les sveltes arbres qui jaillissent du sol toujours humide, les arbres pâles et légers, presque féminins, dont le frémissement semble une prière inarticulée et mélodieuse.

— Mon maître, à cette même place, me parlait de Pascal et d’Arnauld ; moi, je rêvais que j’étais Titus et que je sacrifiais Bérénice à ma gloire et aux intérêts du peuple romain. Oh ! je la sacrifiais héroïquement, galamment, en gentilhomme… Mais n’est-ce pas un singulier présage que j’aie connu à Port-Royal le pressentiment de l’amour ?

— Vous débutiez par le sacrifice, dit Fanny. C’était tout à fait janséniste. Et, dites-moi… Était-ce encore un présage ?

— Comment ?

— Je veux dire… Non, je ne veux rien dire… Allons-nous-en !

Elle riait d’un rire un peu forcé. M. de Chanteprie insista. Il était redevenu très sérieux, avec cet air de douceur et de gravité auquel Fanny ne résistait point.

— Dites-moi votre pensée, toute votre pensée.

— Je pense… Vous vous en doutez bien… Si vous aimiez Bérénice, si Bérénice vous aimait, et si quelque chose… quelqu’un… votre mère, par exemple… ou votre Dieu… vous commandait de sacrifier une femme aimée…