Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle se tut, épouvantée d’avoir prononcé ce mot.

Le jeune homme souriait.

— Je me rappelle, dit-il, le matin où M. Forgerus, mon cher maître, me conduisit pour la première fois à Port-Royal. J’avais seize ans. La dernière neige fondait sur la première verdure ; l’air était vif, le soleil tiède, et il y avait des violettes dans les chemins creux. Je venais de lire Bérénice… Vous, madame, qui, petite fille encore, aviez tout lu, les bons livres et les mauvais, les modernes et les anciens…

— Les modernes surtout !…

— Vous ne pouvez pas comprendre dans quelle disposition d’esprit et de cœur j’avais abordé Racine. J’étais, par l’éducation et le caractère, tout semblable à quelque jeune Français de 1680, et je découvrais les classiques dans la fraîche fleur de leur nouveauté. M. Forgerus affirmait que Bérénice était une pièce assez faible, une élégie dialoguée, indigne, prétendait-il, de la Muse tragique…

— Il avait des opinions un peu… surannées, votre M. Forgerus.

— Hélas ! il ne se doutait pas que j’étais enfantinement épris de la reine juive.

— Ce fut votre première passion ?

— Ce fut ma seule passion. Vous riez ?… Mes sentiments vous paraissent plus ridicules que la perruque et la chaise à porteurs ?

Elle répondit :

— Vous avez une âme charmante… Et qu’advint-il de ce grand amour ?

— M. Forgerus voyait Racine à travers Port-Royal. Moi, pauvre écolier, je vis Port-Royal à tra-