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« Je suis un homme de votre race ; je suis le fils de ces Chanteprie qui goûtèrent, auprès de vous, les douceurs de la vie mortifiée. Depuis longtemps je vous connais et je vous aime, vierges vénérables, pieux solitaires, maîtres et compagnons de mes aïeux. Je vous connais, Angélique la réformatrice, et vous Agnès, et vous Marie-Claire, et vous Angélique de Saint-Jean qui portez le nom de ma mère et lui ressemblez un peu par la tristesse de vos prunelles et la fermeté de votre bouche délicate dans un ovale aminci. Je vous connais, docteurs et pénitents, Saint-Cyran, Arnauld, Singlin, et vous, M. de Saci, et vous, M. Hamon aux fins yeux bleus, et vous, M. de Pontchâteau, visage enflammé sous la perruque noire. J’ai vécu parmi vous, je vous connais tous, et je connais toutes les pierres de votre ermitage, tous les arbres de votre vallon. Je l’ai entendue, cette voix de la solitude ; je l’ai subi, ce charme de mort dont vous fûtes enchantés… Et j’ai fait quelquefois un rêve : tout quitter pour gagner tout, vivre dans le travail et la prière, parler peu, méditer beaucoup, borner à ces bleuissantes collines l’horizon de mes songes et de mes désirs !… J’ai fait ce rêve ; mais je croyais le monde plus jeune de trois cents ans. Port-Royal n’est plus que la ruine d’une ruine, et je n’ai trouvé que des pierres, des ronces, le silence et le souvenir…

Les Mères vêtues de blanc, les Docteurs vêtus de noir, disaient, de leurs lèvres muettes :

« Nous ne vous connaissons pas. »

— « Vous ne me reconnaissez pas, parce qu’une femme m’accompagne, répondait encore Augustin. Vous la regardez sévèrement, M. Le Maistre, vous