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Fanny, cependant, jouissait de sentir autour d’elle cette sollicitude en éveil. Elle devinait le dessein du jeune homme et cet amoureux prosélytisme ne l’offensait pas.

Elle se rappelait parfois l’aveu cynique de Barral, le baiser dans la forêt, et ce souvenir, volontairement reculé à l’arrière-plan de sa mémoire, lui devenait tout à fait désagréable. Georges voyageait, sans elle, s’amusait, loin d’elle, et il osait lui envoyer des lettres spirituelles, trop gaies, où il parlait de son amour !… Fanny répondait par politesse, mais cette correspondance ne l’intéressait plus. Elle voulait oublier l’homme qui l’insultait encore de sa convoitise, offrant l’amour à bail pour quelques saisons. Toutes ses pensées allaient à M. de Chanteprie, à celui qui la chérissait sans la désirer, d’une tendresse que le temps n’effrayait pas et qui réclamait la vie éternelle…

La vie éternelle ! Fanny Manolé n’y songeait guère. Aucun souci de métaphysique ne lui gâtait le très simple bonheur d’exister. Les hypothèses des philosophes ne l’intéressaient pas beaucoup plus que les certitudes des croyants. On ne lui avait pas donné, dès l’enfance, l’espoir d’une immortalité problématique dont les félicités s’achètent ici-bas péniblement. L’abbé Vitalis avait raison : Fanny était une païenne. Elle bornait son désir et sa curiosité au monde visible, où elle ne cherchait que le bonheur. Elle ne comprenait pas qu’on eût fondé des systèmes de morale sur la vertu purificatrice de la douleur ; elle n’éprouvait aucune velléité de se racheter par l’épreuve, ne se croyant point déchue ; et tous les romanciers russes