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toute, dans la vérité de sa nature, dès qu’une sympathie sincère semblait l’interroger. Et ce plaisir de la confidence, hâtif, imprudent, suivi trop souvent d’amers regrets, c’était aussi la revanche de l’obligatoire hypocrisie imposée aux femmes.

Augustin s’en allait, tout ému de compassion et de tendresse. Il dînait tard, servi par Jacquine que ses longues absences inquiétaient déjà. Après dîner, il descendait jusque chez les Courdimanche. Là, M. Le Tourneur, l’administrateur de l’hospice et le capitaine jouaient au whist, avec un mort. Mademoiselle Cariste, blottie dans un fauteuil à oreillettes, questionnait Augustin : « On ne te voit plus en ville. Où vas-tu donc ?… On t’a rencontré avec la dame des Trois-Tilleuls… » Augustin, averti par l’intuition particulière aux amoureux, flairait un danger possible dans l’innocente curiosité de sa vieille amie. Il répondait par des formules évasives, ne laissant rien percer de son secret… Non, il ne voulait rien dire encore, pas même à sa mère, qu’il voyait si peu, pas même à M. Forgerus, pas même à cette naïve demoiselle Courdimanche… Et cependant il éprouvait un vague plaisir à parler, prudemment, de la dame des Trois-Tilleuls !… « Pense-t-elle bien ? demandait mademoiselle Cariste. — Elle ne peut mal penser, répondait Augustin, car elle est pleine d’esprit et de sagesse… » Bientôt, la vieille fille dodelinait de la tête et s’assoupissait dans son fauteuil. Augustin feuilletait la Semaine religieuse, placée en évidence sur une tablette du secrétaire, et des pages remuées, des gestes des joueurs, du demi-ronflement de la dévote assoupie, du globe de la lampe, des images pieuses accrochées