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nouilles sautelaient au bord des mares, et, de loin en loin, une bonne femme passait, jupe troussée, tête basse, tenant à deux mains un parapluie de coton bleu.

Fanny, tourmentée de migraines, recevait Augustin dans sa chambre. Sur les rideaux de toile écrue, des tulipes jaunes fleurissaient parmi des entrelacs de feuillage. Un papier uni, d’un vert très doux, couvrait les murs, et sur ces jaunes pâles, ces verts décolorés, ces blancs laiteux des étoffes et des tentures, les petits stores couleur de citron tamisaient une placide lumière blonde, comme le reflet toujours égal d’un soleil d’hiver.

Parfois, M. de Chanteprie, déplorant tout haut son indiscrétion, faisait mine de se retirer, mais Fanny le retenait sans peine. Qu’elle était charmante, appuyée sur les coussins de la chaise longue, un petit fichu de dentelle serrant ses tempes et son menton délicat ! Ils causaient doucement, gravement, si bien qu’il oubliait l’heure et qu’elle oubliait son mal.

Fanny goûtait un mystérieux plaisir à se raconter, à s’expliquer… Elle était, de toutes façons, l’aînée, instruite par la vie, par l’amour, par la douleur, d’une complexité qui pouvait déconcerter un jeune homme ignorant et simple. Et, dans cette complaisance qu’elle mettait à montrer son âme peu à peu dévoilée, presque nue et frissonnante de pudeur, il y avait comme un besoin de rassurer Augustin, d’indiquer les points de contact de leurs âmes. Ce n’était point une manœuvre de séduction, car Fanny ne savait pas, ne pouvait pas être coquette avec M. de Chanteprie. C’était l’effet d’un instinct irrésistible qui la poussait à rejeter les mensonges conventionnels, à se révéler