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de Champaigne, madame Manolé s’arrêtait aux réalités extérieures du jansénisme. L’âme de Port-Royal l’intéressait moins que la vie privée, l’histoire intime de Port-Royal. Tout ce qui était doctrine, théorie, dogme et commentaire du dogme, lui paraissait incompréhensible et négligeable.

Qu’elle s’intéressât aux personnes, c’était beaucoup, pensait Augustin, puisque, vues à travers les siècles, réduites à leurs traits essentiels, les personnes n’étaient plus que la forme sensible des idées. Qu’étaient-ce que les deux Angéliques, et M. Le Maistre, et M. de Saci, et le grand Arnauld, sinon l’austérité, l’opiniâtreté, la science — le jansénisme ?… Et qu’était-ce que le jansénisme, sinon l’effort de quelques âmes supérieures, égarées peut-être, pour restaurer dans leur intégrité le dogme et la morale du christianisme primitif ? L’aventure particulière de ces âmes, l’histoire d’un couvent de religieuses et d’une petite communauté laïque, conduisaient Fanny, par un chemin détourné, au christianisme même, la plaçaient, surprise et récalcitrante, devant les problèmes que le christianisme seul peut résoudre.

Augustin, nourri de Pascal, croyait voir en Fanny cet homme dont parle l’auteur des Pensées, cet homme plus indifférent qu’incrédule, qui, enfermé dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n’ayant qu’une heure pour l’apprendre et pour obtenir sa grâce, emploie cette heure à jouer au piquet. Elle n’affirmait pas que notre âme n’est qu’un peu de vent et de fumée ; elle disait : « Que sais-je ? » et « Que m’importe ? », oubliant que « toutes nos actions et nos pensées doivent prendre des routes différentes,