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être intelligent puisse être heureux sans connaître Jésus-Christ et sans l’aimer, non, c’est impossible : ce bonheur ne doit être qu’une illusion.

L’abbé toussota : Augustin allait trop vite ; la dame pouvait s’offenser de son intervention… Mais Fanny, rêveuse, ses grands cils flottant sur l’ambre pâle de sa joue, Fanny se tournait lentement, invinciblement, vers le jeune homme.

— Vous me plaignez ? dit-elle.

Il répondit :

— Oui, madame, je vous plains. Vous êtes trop sensible aux belles choses pour demeurer dans l’indifférence, si vous connaissiez, si vous pressentiez seulement la divine beauté de la religion… Tant de consolations vous sont refusées ! Tant d’émotions vous restent inconnues ! Comment ne souffrez-vous pas de sentir autour de vous, en vous, le mystère, l’effrayant mystère que la science humaine n’a point pénétré ? Comment pouvez-vous être heureuse, ignorant d’où vous venez, où vous allez, qui vous êtes, menacée de toutes parts dans votre santé, dans votre intelligence, dans vos intérêts, dans vos affections ? Ah ! madame, il y a le mal, il y a la mort, il y a le redoutable lendemain de la mort ! Et vous, suspendue sur l’abîme, dans les ténèbres, sans autre lumière qu’une raison vacillante et prête à s’éteindre, vous osez vous prétendre heureuse, et vous me regardez avec surprise, moi, chrétien, parce que je vous plains de toute mon âme, parce que j’ai infiniment, oui, infiniment pitié de vous.

Fanny hocha la tête, et la douceur triste de ses prunelles fut comme une caresse physique sur le visage d’Augustin.