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— Je le veux. Par droit de conquête !

Il prit le bras de Fanny, la fit asseoir sur le talus, dans la bruyère, et ils demeurèrent un instant silencieux. La jeune femme, haletante, les jarrets brisés, regardait fixement devant elle la grande houle bleuâtre de la forêt, le fond d’outremer où se détachaient les fûts réguliers des pins, leurs fourches orangées par le soleil, leurs parasols d’un vert intense. Des piverts criaient en frappant le bois, à petits chocs. Une faisane partit, d’un vol pesant, froissant les broussailles. Dans le ciel tendre, l’ouate argentée des nuages s’effilochait.

Le bras de Georges soutenait la taille de Fanny. Elle s’abandonnait un peu contre l’épaule puissante. Lasse, la bouche frémissante et les yeux révoltés, elle goûtait pourtant l’étrange douceur de sa défaite. Hostile encore, elle ne songeait plus à fuir.

Elle examinait Barral, avec ce regard de côté qu’ont les femmes, ce regard qui glisse entre les cils, se dérobe, indifférent, et revient insaisissable. Elle comprenait, elle avait toujours compris que Georges la désirait, mais elle le savait incapable d’aimer, — d’aimer comme elle pouvait aimer, elle, et comme elle voulait qu’on l’aimât. — Il avait tant dit qu’il était égoïste, matériel, brutal. Elle avait fini par le croire, n’ayant pas dépassé l’âge où l’illusion sentimentale, le mensonge romanesque sont la condition nécessaire de l’amour. L’expérience lamentable du mariage ne l’avait pas éclairée. Elle était si jeune encore, à vingt-six ans ! Ce n’étaient pas les préjugés, ni la peur du monde, qui retenaient son cœur. C’était plutôt un sentiment de déception, une involontaire