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le sentait venir. Elle entendit le grelot sonore, tintant aux ressauts de la roue, et, décuplant la vitesse, elle se précipita. Barral eut une sourde exclamation… Il cessa de se contempler dans son rôle d’anthropoïde poursuivant la brune femelle, à travers la forêt des premiers âges. Toute pensée s’abolit, et il sentit naître en lui une âme inconnue, une âme féroce de faucon. Éperdument, il souhaita la belle proie. Avec un rauque soupir, les dents serrées, les veines enflées, il fila comme une flèche, il descendit l’allée vertigineuse… Et soudain le sol s’abaissa. Un poteau indiquait la côte dangereuse : n’importe ! Sur la pente, vers l’abîme possible, la femme et l’homme, l’hirondelle et le faucon, passèrent, apparus, disparus, fantastiques… Un paysan qui ramassait du bois resta les bras écartés, la bouche ouverte par un cri qu’on n’entendit pas… Les maisons d’un hameau se levèrent dans la profondeur d’un cirque sombre… Des volailles effarées s’enfuirent… Des enfants pleurèrent… Puis ce fut la solitude, l’âpre odeur résineuse, la colonnade rougeâtre des pins. Et peu à peu, la femme s’épuisa. La distance diminuait, diminuait encore. L’homme arrivait, comme un éclair. Fanny le sentit plus près, tout près. Le grelot sonna, les roues vibrèrent. Sur l’épaule de la femme, une main rapace s’abattit. Les deux bicyclettes emportées roulèrent côte à côte, ralenties… Barral sauta.

Elle était à bout de forces. Elle descendit, confuse, avec un air de soumission et de défi. Georges appuya les machines aux troncs des pins. Il souriait :

— Venez ici, reposez-vous.

— Non.