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lèvres ; qui n’aurait pas peur de mon désir, qui se donnerait joyeusement, sans grimaces ; un être intelligent, raffiné, caressant, un peu mystérieux toujours, et cependant simple et sincère…

— Vous n’êtes pas difficile ! dit Fanny troublée par le regard de Barral, un regard appuyé, insistant, plus éloquent qu’une parole et plus hardi qu’une caresse.

— Cette femme, elle existe, Fanny !

— Vraiment ?… Est-elle une « régulière », comme vous dites, ou une commerçante ou une… réfractaire !

— Si elle consent à m’aimer, elle passera dans le clan des réfractaires… Et c’est ici que je vous attends, madame. Cette femme dont j’admire l’esprit, la grâce, l’énergie, cette femme qui réalise exactement mon idéal de maîtresse-amie, je ne peux pas l’épouser. Je partagerais tout avec elle ; je lui ferais une vie heureuse et sûre, je la chérirais, je la protégerais, je la défendrais contre le mépris du monde, mais il faudrait qu’elle consentît à mépriser ce mépris, à rompre avec les sots préjugés, les sottes pudeurs, les sots respects, et qu’elle fût, bravement, gaiement, devant tous, ma maîtresse.

Fanny retira sa main. Elle s’isolait dans sa pensée impénétrable, tout son visage durci, presque hostile… Barral ôta son chapeau, essuya son front où perlait la sueur. Et, Fanny se tournant vers lui, brusquement, leurs regards se défièrent.

Madame Manolé se leva, redressa sa bicyclette, et, droite, appuyée au guidon, dominant Barral, elle répondit :

— Mon cher, quand on aime une femme, on brise tout, on l’épouse.