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que formaient les racines d’un chêne. Devant eux, les bicyclettes renversées avaient un air disloqué, piteux, de choses mortes.

Barral prit la main de la jeune femme.

— Écoutez-moi bien, chère amie, et ne répondez qu’après m’avoir bien compris. J’ai un conseil à vous demander, un conseil que je veux très clair, très sincère, parce que je le suivrai, résolument.

— Georges !…

— Écoutez-moi ! reprit-il. C’est très simple. Vous connaissez ma situation, Fanny. Je suis marié. J’ai promis à ma femme de ne jamais divorcer ; cela me serait légalement impossible… Du reste, je n’y tiens pas le moins du monde. Je me sens libre, je suis libre. Ne le croyez-vous pas, dites, Fanny ?

— Je le crois.

— Eh bien, ma chère Fanny, me voici donc libre, à trente-cinq ans, assez jeune pour jouir longuement de ma liberté, assez mûr pour l’estimer à son prix, assez sage pour n’en point abuser. Je me suis arrangé, à peu de frais, sans léser ni gêner personne, l’existence la plus agréable et la mieux remplie. Je travaille, non par nécessité, non pas même par vanité, mais par plaisir. S’il me plaît de voyager, je boucle ma valise et je pars ; s’il me convient de vivre quelque temps solitaire, je ferme ma porte aux indiscrets. Si j’ai besoin de dépenser ma force, je quitte mes bouquins, et me voilà redevenu la brute heureuse des âges primitifs, chasseur, pêcheur, nageur, passionné pour les voluptés violentes de tous les sports. Ayant un bon estomac, j’ai un bon caractère. Ayant un bon caractère, je suis optimiste,