Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/102

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heureux pour elle, qui, sans fortune, avait grand besoin de sympathies actives ? Elle était bonne et dévouée ?… Assurément, elle savait s’attacher les hommes. Et pour conclure, ne pouvait-on la définir, la qualifier d’un seul mot qui contenait tous les griefs, toutes les critiques, tous les insultants hommages ? C’était une « femme d’amour ».

Ce mot, Barral l’avait entendu cent fois, et il se le répétait dans sa pensée comme le plus rare, le plus délicieux éloge qu’on pût faire d’une femme. Que lui importaient les racontars ? Il ne voulait pas savoir si, depuis son veuvage, et même pendant son mariage, Fanny était restée « vertueuse » ; il n’attachait pas à ce détail plus d’importance qu’il ne fallait ; Fanny était maîtresse d’elle-même, en attendant qu’elle devînt sa maîtresse, à lui, Barral. Et pourquoi pas ? N’étaient-ils pas merveilleusement assortis, créés l’un pour l’autre, ayant l’un et l’autre assez souffert du mariage pour comprendre le charme de l’amour libre, pour mépriser les sanctions ? Non, Barral n’aimait pas Fanny romantiquement, ni romanesquement. Il n’était pas un collégien sentimental. Il ne versait pas des torrents de larmes en pensant à Elle ; il ne lui dédiait pas des sonnets : il était tout à fait incapable d’aller lui chercher des fleurs à la cime du Mont-Blanc. Et même, si Fanny ne voulait pas l’aimer, si elle aimait un autre homme, Barral était presque sûr de ne pas mourir de désespoir. Mais il estimait la probité de son caractère, il chérissait sa vive et souple intelligence comme une source de rares et durables plaisirs ; il désirait son corps, ce corps svelte, vigoureux et souple, qu’il devinait si beau dans la volupté…