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orphelin, ne connut pas le lait, le sourire, le baiser de la femme et la cadence de ses genoux. Pauvre poussin de couveuse !

Les seuls plaisirs de son enfance délaissée, il les eut chez les voisins Wallers qui l’invitaient à passer des après-midi avec le gros Jacques, bruyant et pleurard, Isabelle, la cousine de Paris, coquette et gourmande, et cette petite Marie, blonde, qui semblait en porcelaine.

Et, bien que le gros Jacques fût l’aîné d’un an, Claude, plus grand, plus mâle, était, dans tous les jeux, celui qui tue les méchants et protège les faibles : il était l’explorateur casqué de papier qui arrache la petite Marie aux cannibales ; il était saint Christophe, qui porte Jésus sur son dos. Il était le père de toutes les poupées…

Marie l’aimait. Marie lui offrait la moitié de ses gâteaux, sa boîte à couleurs, son jeu de patience, et elle lui écrivait, au premier janvier, sur du papier à dentelle acheté par la bonne… Marie, la froide et fragile Marie, chérissait Claude parce qu’il était mal habillé, pas riche, et qu’il n’avait pas de maman.

S’ils avaient grandi côte à côte, au lieu d’être séparés par le collège et la pension, leur tendresse enfantine eût suivi sa pente naturelle et fût devenue de l’amour. Mais, quand Marie sortit du couvent, Claude, bachelier, partit pour Paris.