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Tu te crois irréprochable, toi ! pétrie d’une chair céleste, incapable de prendre jamais un amant… Mais tout de même, tu as changé, depuis que tu as quitté la Flandre !… Tu as respiré l’air de Naples et tu commences à fondre, petit glaçon de vertu !… Oui, tu me l’as avoué, hier soir : l’amour est plus fort que tes préjugés de bigote, et Claude Delannoy fait une rude concurrence au bon Dieu !… Tu vas divorcer, Marie ! tu vas désespérer ta famille et scandaliser les pimbêches bien pensantes de Pont-sur-Deule ! Tu épouseras Claude, devant le maire, et tu penseras que tu restes la femme d’André devant Dieu… Au point de vue catholique, tu commettras l’adultère, et tu seras la maîtresse de Claude comme je suis la maîtresse d’Angelo… Sois donc plus indulgente, et ne me jette pas la pierre, parce que tu n’es pas sans péché…

Isabelle piquait ces petites phrases, comme des flèches, dans la conscience douloureuse de Marie, et elle voyait sa cousine tressaillir aux mots de « maîtresse » et d’ « adultère ».

Il y eut un silence de quelques secondes. Marie, les yeux fermés, semblait souffrir. Elle dit enfin, très doucement :

— Tu as raison. Je n’ai pas le droit de te juger… Moi aussi, j’ai connu la tentation… Moi aussi j’ai subi le mauvais enchantement de ce